Voilà un mois que je ne suis plus allé à Berlin, la ville de tous mes désirs, et l’on dit déjà que la capitale allemande n’est plus du tout dans le vent. Ces derniers jours, deux journaux internationaux renommés ont critiqué la métropole branchée. D’abord le Rolling Stone, qui prend l’état du club de techno berlinois Berghain comme exemple pour la gentrification du quartier, le danger du tourisme et la disparition des clubs à Berlin - le magazine va jusqu’à affirmer que même le meilleur club du monde souffre d’un manque d’innovation. Quelques jours plus tard, c’est au tour du New York Times qui prétend que Berlin n’est plus un haut lieu de la culture, mais une dépendance de Brooklyn. Les Américains ne s’y déplaceraient en masse que parce que la bière et les drogues sont moins chères et que l’ambiance est plus décontractée dans les clubs.
Le blog américain Gawker, pour sa part, a déjà enterré la capitale. «Berlin is over – what´s next?», demande-t-il avant d’affirmer: «Certains racontent que la ville est cool et qu’il faut absolument s’y rendre, d’autres en revanche disent que la ville a touché le fond et qu’il faut quitter le navire au plus vite». Selon lui, cela marquerait la fin de cette décennie où Berlin était la ville la plus branchée du monde. La jeunesse à fleur de peau et en quête d’orientation des pays industriels devra trouver un nouveau parc d’attraction.
Le nombre croissant de visiteurs en provenance de New York, Londres, San Francisco, Milan, Paris et Zurich ont plongé les enfants berlinois empreints de coolness dans une crise d’identité. Pour changer. Les touristes fêtards et les jeunes hipsters de Berlin ne forment pas seulement une masse qui fait la fête du matin au soir, ils sont surtout la conséquence logique de la globalisation de la vie de bohème. Pour Berlin, cela signifie : des prix en hausse pour les repas, les transports publics et le logement. Cela signifie également que les habitants doivent effectivement travailler plus et ont moins le temps de faire la fête. La question qui se pose alors est: que reste-t-il à Berlin?
Faisons un tour dans le quartier de Berlin le plus branché du moment, le quartier Neukölln. Nombreux sont ceux qui trouveront à redire à cette affirmation et qui prétendront que Berlin-Mitte est le seul vrai quartier de Berlin, que les jeunes les plus branchés se trouvent à Berlin-Friedrichshain. Certains croient que c’est Berlin-Wedding qui sera le prochain quartier à la mode. C’est un choix difficile, mais puisqu’il faut bien en faire un, je choisis un kiez (quartier) que je connais bien. Neukölln reste un quartier populaire, un quartier multiculturel, une banlieue à problèmes. Il y a quelques années, ce quartier berlinois ayant plus d’habitants que la ville de Zurich, comptait encore 50 % de personnes qui vivaient de l’aide sociale. C’est-à-dire une personne sur deux. Puis, les premières galeries et les premiers bars ont ouvert et des premières notifications dans les blogs sur l’authenticité du quartier sont apparues, ainsi que les premiers immigrés, les premières augmentations de loyer, les premiers clubs, fast-foods et bars à café macchiato. Il n’y a pas encore de restaurants à sushis.
Des appellations comme quartier à problèmes, ainsi que les louanges des médias et des touristes étrangers, ont contribué à la gentrification du quartier, sans oublier l’utilisation récurrente du mot hipster (branché), dont on dit qu’il a été inventé à Berlin-Neukölln. Pourtant de nombreux touristes, notamment ceux qui ont dépassé la trentaine, ne connaissent pas ce quartier. Kreuzberg à la rigueur, mais Neukölln beaucoup moins. Il est connu pour ses immigrés turcs et arabes, pour sa délinquance, pour l’ancien aéroport berlinois Tempelhof et, par ouï-dire, comme lieu de rencontre des ‘hipster’.
Neukölln est en pleine effervescence et propose notamment aux jeunes touristes une multitude de bistrots authentiques, de nouvelles galeries, de petits clubs raffinés et quelques restaurants à ne pas manquer. Bien sûr, Neukölln montre aussi qu’il reste un quartier pauvre avec des personnes socialement défavorisées. Cependant, c’est exactement ce mélange et cet affrontement des cultures, des origines, des générations de pauvres et de moins pauvres, qui caractérisent le quartier.
Les banlieues à problèmes attirent toujours les têtes créatives: les loyers y sont moins élevés et l’on peut faire du neuf avec du vieux. De plus, ces quartiers proposent encore des espaces verts, contrairement à d’autres quartiers de Berlin. Il n’y a pas que les artistes qui habitent ici: depuis trois ans, le quartier en vogue attire également des jeunes du monde entier. Ceux-ci se retrouvent par exemple le soir au café Engels, à proximité de la Herrfurthkirche, au cirque Lemke, au Fröllein Langner ou à l’ancien aéroport de Berlin, au Tempelhofer Feld, pour prendre une bière en contemplant le splendide coucher du soleil. Le concept de tous ces bars est le même: jadis, il s’agissait de bars délabrés où les chômeurs consommaient dès midi de l’alcool en grandes quantités. Ensuite, de jeunes gérants ont repris l’établissement, l’ont aménagé de chaises et de canapés de style vintage et ont modifié l’offre des boissons, avec en arrière-plan, de la bonne musique.
Dernier exemple en date: le Promenandeneck. Ce qui était, il y a quelques mois encore, un établissement « d’alcoolos », a été repris et réaménagé par des organisateurs de fêtes connus dans tout Berlin. Le concept est malin: grâce à ses fenêtres décalées et une double porte, le club situé en plein quartier résidentiel est pratiquement insonorisé. Dans le quartier, l’intérieur fait presque chic, les prix y sont plus élevés que dans les établissements avoisinants, les clients s’y rendent volontiers en taxi et pas seulement en métro.
Le «Schillerkiez» fait actuellement face à un assaut de nouveaux habitants – on le constate à la vue des déménagements hebdomadaires et d’un nombre croissant de voitures de location sur les trottoirs. En prenant le métro, on constate que de nombreux jeunes se rendent à Berlin Mitte pour y travailler dans l’un des nombreux bureaux. La Schillerpromenade est le cœur du quartier et est bordée de boutiques de cupcake et de nouveaux fast-foods, comme le Schillerburger, qui propose des portions généreuses à des prix raisonnables. Tous les samedis, le marché sur la Herrfurthplatz propose des fromages locaux et d’autres d’autres spécialités culinaires.
En continuant plus au sud vers la Ringbahn, puis direction ouest, à travers le quartier Neukölln, on parvient au Körnerpark. Avec sa fontaine au centre, le parc est un lieu résolument idyllique, où il fait bon se détendre au soleil, un peu comme au Tempelhofer Feld. On avance en direction de la Richardplatz recouverte de pavés et bordée de jardins secrets et de maisons historiques à colombages. Ici, non loin de la Rixdorfer Schmiede au sud de la Sonnenallee, Neukölln a le charme d’un village, comme son nom «Rixdorf» l’indique. On ne voit plus rien de l’image un peu crasseuse que certains ont encore de cette partie de la ville - on y goûte au contraire un calme bucolique. On peut également y découvrir l’histoire du vieux Berlin. Les maisons sont richement décorées et les larges rues avec des espaces verts au centre invitent à la promenade.
En remontant la Sonnenallee, on parvient à Nord-Neukölln, également appelé «Kreuzkölln», parce qu’il est situé à la frontière de Kreuzberg entre Landwehrkanal et Sonnenallee. La Sonnenallee est agitée, bordée de magasins de télécommunications et de stands à kebabs, mais également fascinante car des mondes parallèles s’y rencontrent: de jeunes femmes turques portant le voile croisent le chemin de touristes anglophones haut en couleurs, des bars à chicha se trouvent à côté des pizzerias végétaliennes.
Kreuzkölln a fortement évolué au cours de ces trois dernières années. De nombreux Berlinois appellent le quartier Kreuzkölln, vu que la région est hybride et qu’elle change de visage quotidiennement. En effet, de nouveaux bars et magasins s’y établissent constamment et les habitants deviennent eux aussi plus internationaux. L’artère principale du quartier est la Weserstrasse. Ici, les bars se suivent les uns après les autres. Les clients sont des touristes métropolitains en provenance d’Angleterre, des Etats-Unis, d’Espagne ou d’Italie, des backpackers ou des étudiants qui habitent le quartier. Ils recherchent à Berlin ce que d’autres endroits ont perdu en raison des loyers exorbitants et d’un nombre trop élevé de Flagshipstores: un quartier délabré mais avec du charme, de la nouvelle musique, des bars meublés vintage et sans papier peint et un mélange bien particulier de gens. Deux bars portant les noms mélodieux de «Tier» et «Ä» sont particulièrement à recommander. Ils sont situés pile vis-à-vis l’un de l’autre. Le week-end, ils sont pleins à craquer jusqu’à minuit, avant que les clients ne se rendent dans les clubs des autres quartiers.
Photos: DER Touristik Suisse SA / David Torcasso
Berlin-Ouest ? «Et pour y faire quoi?» se demandent surtout les jeunes touristes en visite à Berlin. Berlin-Ouest, proche du jardin zoologique, a la réputation d'être démodé et ennuyeux. Pourtant, depuis peu, le centre de Berlin aux alentours du zoo attire à nouveau la population branchée de la capitale (ainsi que ses amis de l'étranger). Après 20 ans de fêtes et de divertissements à Berlin-Est, et notamment dans les quartiers de Mitte, Prenzlauer Berg et Friedrichshain, les regards se tournent à nouveau vers la partie ouest de Berlin, autour de la Gedächtniskirche (l'église du Souvenir). Sans doute peut-on attribuer ce revirement à la récente ouverture de «Bikini Berlin» un centre commercial d'un nouveau genre et à la réouverture de la galerie C/O Berlin.
Début avril, un nouveau temple du shopping a ouvert ses portes aux Berlinois: le Bikini Berlin a beau être le 63ème centre commercial de Berlin, il est unique en son genre. C'est ce qu'on appelle un «Concept Mall». A la différence des autres centres commerciaux, il n’abrite pas de boutiques de marques mondialement connues (qui sont déjà trop représentées), mais des boutiques triées sur le volet, notamment celles du créateur berlinois novateur Andreas Murkudis, de la créatrice Anna Kraft, de la maison d'édition Buchverlag ou encore de la marque de lunettes Mykita. On y trouve également des cafés et des bars. Le nouveau centre commercial se définit par le slogan anglais: «Shopping different» et entend séduire avec ses boutiques de créateurs. L'édifice cinquantenaire fraîchement rénové héberge 50 boutiques sur une superficie de 17 000 m2, dont 7 000 sont occupés par une terrasse sur le toit, d'où les visiteurs peuvent observer les singes du zoo.
Une vue exceptionnelle sur le jardin zoologique
Le Bikini Berlin renonce volontairement aux boutiques et succursales imposantes en matière de surface. L'inconvénient de cette stratégie est qu'au démarrage, seuls 85% de la surface à louée sont occupés par des boutiques. Mais les fondateurs sont persuadés que le centre commercial va devenir le nouveau lieu de rendez-vous de la population berlinoise branchée et amatrice de mode. Pour l'instant, cette population fréquente surtout l'est de la ville, c'est-à-dire les quartiers de Mitte, Prenzlauer Berg et Friedrichshain, mais elle pourrait bientôt enfourcher sa bicyclette et se rendre à Berlin-Ouest pour y découvrir toutes les marques les plus novatrices dans un seul lieu. En plus des boutiques permanentes, les visiteurs y trouvent aussi des «pop up stores», c'est-à-dire des magasins éphémères dans lesquels de jeunes créateurs et artistes peuvent proposer leurs créations pendant une durée déterminée, à la manière d'une sorte de foire. Globalement, le Bikini Berlin se situe toutefois plutôt dans une gamme de prix élevée.
Mais le Bikini Berlin n'est pas la seule attraction de Berlin-Ouest. En ce moment, Berlin-Ouest est en pleine construction, comme à Zurich-Ouest. De nouveaux concepts architecturaux insufflent une nouvelle dynamique à cette partie de la ville. La nouvelle jeunesse hype de Berlin-Ouest se retrouve au «Monkey Bar» du 25hours Hotel, lequel a récemment ouvert ses portes près de la Gedächtniskirche: de jeunes gens investissent les fauteuils et sirotent des cocktails en observant, sur leur droite, les singes du zoo et, sur leur gauche, l'effervescence qui règne aux alentours du Bikini Haus. A gauche, à côté de l'église, building abrite l'hôtel de luxe Waldorf-Astoria. Ce sont le réaménagement du Bikini-Haus et la rénovation du cinéma «Zoo Palast» qui ont donné le «coup de fouet initial» à Berlin-Ouest. Depuis, les investisseurs reviennent dans le «quartier démodé». Désormais, les touristes ne sont plus les seuls à fréquenter Berlin-Ouest et le quartier du zoo. La jeunesse berlinoise revient également, en quête de nouveauté et lassée des hipsters de Berlin-Est.
Depuis près de 100 ans, Berlin-Est et Berlin-Ouest s’attirent alternativement les faveurs du public
En 1920, alors que Berlin faisait figure de ville glamour par excellence, après la chute du mur, Berlin-Est regorgeait de grands espaces immaculés où les artistes pouvaient venir y donner libre cours à leur créativité. Aujourd'hui, les avant-gardistes aspirent à un nouveau terrain de jeu car une grande partie de Berlin-Est a été assainie et s’est embourgeoisée. Il y a peu, les quartiers de Berlin-Ouest avaient encore la réputation d'être «démodés», peuplés de vieilles dames promenant leur chien dans les rues, mangeant des gâteaux et flânant dans de vieilles boutiques, comme si cette partie de la ville était restée figée dans le temps.
Mais le vent est en train de tourner: le soir, le café «Grosz» dans la Haus Cumberland est plein à craquer, tout comme les pièces qui se jouent au théâtre «Schaubühne» sur la Lehniner Platz. Quand le comédien allemand Lars Eidinger, très populaire et très controversé, monte sur scène, il se forme une longue file d'attente devant le théâtre, comme devant l'un des clubs branchés de l'autre côté de la ville. Mais ce n'est pas fini: à l'automne, la galerie C/O Berlin prendra ses quartiers dans l'Amerika-Haus au style rétro-chic des années 50. Auparavant, elle était installée dans l'ancien relais de poste, le «Postfuhramt», à Mitte. Alors, même les amateurs d'art adopteront une nouvelle perspective et viendront contempler les œuvres d'artistes émergents à deux pas des cinémas pornos de Beate Uhse et des vendeurs de «Currywurst ». Reste à savoir si Berlin-Ouest peut s'établir de manière durable comme nouveau quartier tendance et concurrencer Mitte. Outre les constructions architecturales, de nouveaux restaurants qui ont ouvert ces derniers mois peuvent aussi contribuer au changement.
Alors, Go West !