Une journée parfaite sur l’île de Brač

Le berceau de la félicité
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L'expert en voyages

Pavle Pavlovic

L’ancien rameur professionnel et expert en voyages, Pavle Pavlovic, connaît la côte orientale de l’Adriatique comme le fond de sa poche. Et : il en adore chaque recoin. Quand il n’est pas justement à Zurich, il est à la recherche de destinations de vacances encore inconnues.

Les habitants de l’île croate entretiennent leur environnement naturel, leurs traditions et leur gastronomie. En l’espace de 24 heures, je goûte au vin rouge additionné de lait de chèvre, j’enfourche une bicyclette pour me mettre en quête de ma plage de rêve et je me rend sur le continent en ferry. Brač est un continent à elle seule.

8h30

J’ouvre la fenêtre, en face de moi la mer Adriatique scintille, lisse comme un miroir. «Bonaca», le mot croate pour dire calme: une matinée d’été typique pour la région. Quelques villageois s’attardent sur la promenade du bord de mer, les pêcheurs sont rentrés depuis belle lurette et leurs bateaux sont amarrés dans le port. Il semblerait que «bonaca» se soit échoué sur le rivage pour prendre possession des insulaires: les gens sont sereins, détendus. Une sensation contagieuse, puisque c’est sans aucune hâte que je m’habille pour aller boire quelque chose et lire le journal dans le jardin du restaurant. En me voyant arriver, le serveur m’accueille avec un joyeux «dobro jutro», bonjour. Sans attendre que je passe commande, il m’amène un cappuccino et un verre d’eau.

À Postira, le petit village de pêcheurs dans le nord de l’île de Brač, la gentillesse des autochtones a quelque chose de nostalgique, de contagieux. Les 1500 habitants ont été épargnés du tourisme de masse, des bistrots et pubs bruyants – ici, on célèbre la vie et les traditions, comme au temps de l’ex-Yougoslavie décrite par le poète lyrique Vladimir Nazor, natif de Postira. Les insulaires sont fiers de leur poète et de leur village; l’authenticité et l’ambiance méditerranéenne caractérisent leur quotidien. Les maisons en pierre, recouvertes de toits dont les tuiles scintillent sous le soleil, sont regroupées autour de l’église. Le dimanche, les fidèles, des plus jeunes aux plus anciens, viennent y célébrer la messe. Après l’office, c’est dans le jardin du restaurant que tout le monde se retrouve pour trinquer. On boit à la santé les uns des autres, on «arrose» des fiançailles, un mariage, un baptême – ou fête un parent qui rentre de l’étranger. Le prêtre, qui confesse ses paroissiens, est attablé avec eux et fait partie des premiers à entonner des chansons de marins. Vers midi, quand la faim tenaille, cette joyeuse bande se disloque et tout le monde rentre. C’était en tout cas ce que j’ai vécu dimanche dernier quand, en buvant mon cappuccino matinal, j’ai été le témoin de cette tradition inofficieuse. Aujourd’hui, le calme est revenu dans le jardin du restaurant... Je décide d’aller faire un tour à la plage. 

10h

J’attrape mon maillot et ma serviette et j’enfourche mon vélo. Alors, je vais à gauche ou à droite? Avec 40 km de large sur 60 km de long, Brač est la deuxième plus grande île de Croatie. Aujourd’hui, je décide de tourner à droite, sans savoir exactement où cela va m’amener. Sur une route naturelle, je pédale depuis un bon quart d’heure quand j’aperçois une pinède. J’ai l’impression d’être arrivé dans une boutique d’épices. Le vent de face me confronte à des odeurs les plus sauvages. Sapins, acacias et agaves alternent tout comme l’ombre et la lumière. Je découvre des petites plages ça et là, à mesure que j’avance. Mais, stoïque, je continue et ne m’arrête qu’une fois arrivé à la plage de Lovrečina. Là, j’ai l’impression de me trouver au beau milieu d’une réserve naturelle. Un tableau incroyable: devant moi, l’eau cristalline borde la plage, plus loin derrière, des pins ombrageux et juste à côté les vestiges d’une basilique datant de la période paléochrétienne. J’étale ma serviette et je me jette dans les flots rafraîchissants. Avec une moyenne de 25° l’été, la température de l’eau est fort agréable. Cela vient du fait que, contrairement à d’autres endroits de la Méditerranée, la mer Adriatique est beaucoup plus salée et qu’elle se réchauffe donc plus rapidement. 

13h15

À même pas cent mètre de la plage, je découvre un petit restaurant. Rustique, avec beaucoup de pierre et de bois, il me paraît convivial et rassurant dès le premier coup d’œil. La sérénité qui caractérise l’île se reflète dans la gastronomie. À Brač, fastfood devient slowfood... Les produits sont frais et cultivés sur place ! Olives, vin, fromage de chèvre, pain fait maison et une grande variété de poissons : la carte des menus ressemble ici à toutes les autres de l’île. Le tenancier, un homme entre deux âges un peu rondouillard, me détaille la pêche du jour et me propose, tout de go, une interprétation personnelle de la cuisine méditerranéenne: poulpe en salade avec tomates, oignons et olives. Et quelque chose qui ne figure pas officiellement sur la carte, mais qu’il faut que je goûte absolument. En deux temps trois mouvements, il pose quelque chose devant moi sur la table: une boisson typique de l’île appelée «smutica». Le mélange de vin rouge et de lait de chèvre a été inventé par les soldats de la garde de l’empereur romain Dioclétien pour renforcer leur virilité. Le breuvage doux-amer est intéressant. Et il m’a rafraîchit et revigoré ! Après un tel festin, j’imite les autochtones, je me retire sous mon arbre pour faire une petite sieste à l’ombre. Seules les cigales ne s’arrêtent pas: elles continuent de chanter comme si de rien n’était. Une petite brise rafraîchissante venant du nord se lève... 

18h

De retour à l’hôtel, je me prépare pour la soirée. C’est en taxi que je me rends à l’intérieur des terres, et plus exactement à Vidova Gora. Ici, à 800 m d’altitude, il fait beaucoup plus frais que dans la vallée. La végétation est complètement différente: les plantes endémiques me rappellent un peu les Alpes suisses. Mais la véritable raison de mon escapade n’est évidemment pas la botanique, c’est mon penchant pour la cuisine croate. Les spécialités à base d’agneau du restaurant Kopačina font partie des meilleures de l’île. J’ai réservé une table sur la terrasse, au bord de la falaise, pour bénéficier de la vue. Et la coulisse est exceptionnelle: des petites collines verdoyantes, baignées par la lueur orangée du soleil, s’alignent à perte de vue.

Curieux de voir si la cuisine est aussi bonne que les insulaires le prétendent, je m’en remets aux recommandations du serveur. En entrée, il me propose un bouillon maison, suivi d’une «vitalac» – une brochette d’abats d’agneau enveloppée dans un mouchoir d’agneau – et, pour le plat de résistance, j’opte pour l’agneau servi sur la pierre chaude. Les autochtones ont raison: la cuisine est excellente, je me souviendrais de ce repas toute ma vie. Et, tradition oblige sur l’île de Brač, le dîner – tout comme les autres repas – s’étire en longueur. Le restaurateur sert deux, trois eaux de vie locales pour la digestion et disparaît. Sortis de nulle part, munis de leurs instruments à vent et à corde, des musiciens entament des airs folkloriques : la soirée prend des allures de petite fête. Dynamisé par cette ambiance, je décide de ne pas rentrer et d’aller à Split pour me plonger dans la vie nocturne. Le patron trouve l’idée excellente et, ni une ni deux, organise un chauffeur qui me conduit à Supetar où je prend le ferry qui dessert toutes les heures le continent. Pour 30 kuna, quatre francs environ – ciel étoilé et bruissement de la mer compris – j’achète un billet. 

22h

Brač et l’impression d’être au bout du monde, disparaissent au fur et à mesure que je m’éloigne de la côte. Au bout de 50 minutes de traversée, la capitale de la Dalmatie s’offre à moi. J’ai l’impression de débarquer dans un autre pays: des palmiers géants émaillent le quai joliment illuminé, des cafés, restaurants branchés et magasins, ouverts jusque très tard dans la nuit, s’égrènent le long du port. Des talons aiguilles au bout de jambes bronzées claquent sur les dalles claires, les amoureux tendrement enlacés squattent les bancs. Je me balade dans la vieille ville, histoire de découvrir, de l’extérieur au moins, l’emblème de Split: le palais de Dioclétien, classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Ce même Dioclétien dont la garde a inventé le mélange de vin rouge et de lait de chèvre! L’ancienne résidence impériale n’est qu’à dix petites minutes à pied. La taille et la splendeur de l’édifice, vieux de presque 2000 ans et témoin de diverses époques, donne tout son charme à la ville historique. Je reste quelques instants devant le palais de l’empereur et déjà je projette de revenir demain.

Un peu plus tard, au coin de la rue, je m’arrête pour déguster un verre de Plavac, du vin rouge local que le barman m’a conseillé. Au son d’un orchestre, je continue de gamberger dans ma tête. J’ai le temps, beaucoup de temps... Le prochain ferry pour Brač ne part qu’à quatre heures et demie.

Propos recueillis par Magdalena Ostojić
Photos: Pavle Pavlovic/DER Touristik Suisse SA