Avec les premières élections démocratiques depuis 25 ans, le Myanmar s'est définitivement réveillé en novembre 2015. Le pays d'Asie du Sud-Est avec ses pagodes galactiques est pour beaucoup de voyageurs le lieu nostalgique par excellence. Il allie tradition, culture, religion et hospitalité d'une manière authentique et directe. Au Myanmar, on peut siroter du sauvignon blanc, vivre des cérémonies religieuses de près et se sentir comme sur des montagnes russes lors de trajets en bus sans fin.
« Nous espérons qu’à partir de maintenant, nous pourrons avoir davantage notre mot à dire »", dit Ma. L'hôtesse d'un restaurant familial en bordure du terrain de la pagode a des souhaits clairs pour le futur. Pendant que je déguste le plat typique « mohinga », une soupe de nouilles de riz et de poisson, son mari ne cesse de me sourire. Il ne maîtrise pas aussi bien l’anglais que sa femme. Elle semble être celle qui tire les ficelles dans la famille. Son fils de six ans regarde sans arrêt des clips musicaux Youtube sur une tablette et tonitrue en anglais d'une pureté impressionnante. Je m’éclate de rire et tourne une petite vidéo. À la télévision, au-dessus de la cuisine, on passe la version du Myanmar d’« X Factor ». Ma affirme que depuis que le parti d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, a remporté la majorité des sièges au parlement, on ressent un changement au niveau de la population. « C'est comme si, après des décennies sous le dur régime militaire, les gens se dégelaient et se tournent vers un avenir prometteur », dit-elle. Auparavant, on ne vivait qu’au jour le jour. Aujourd'hui, il est manifeste qu'une grande partie des quelque 100 millions d'habitants du Myanmar perçoivent pour la première fois la possibilité de participer activement à l'évolution de leur pays.
Je les remercie pour ce délicieux repas et je me dépêche pour ne pas manquer le légendaire coucher de soleil à Bagan. Avec mon vélo électrique je circule à travers la ville, avec ses immenses champs recouverts par d’innombrables pagodes. On estime leur nombre à plus de 2 000 constructions. Divers souverains les ont fait construire au fil des siècles pour s’assurer la bienveillance des dieux. À mes côtés, d'autres touristes à vélo, en scooter et en bus se dirigent vers l'une des plus grandes pagodes. Je monte les escaliers en courant, je contourne la foule et je saisis le soleil du soir juste à temps pour une photo souvenir. À perte de vue, des tours pointues, dorées et chatoyantes, se dressent vers le ciel. Pendant un moment, je me crois sur une autre planète. Ces vieilles et majestueuses pagodes de pierre rougeâtre sont tellement différentes de tous les bâtiments que je n’ai jamais vus. Et si l’on y ajoute les innombrables montgolfières, le paysage n'est guère à éclipser en beauté.
Le Myanmar éveille la nostalgie. En raison de son nom magique, de sa nature intacte, de son mélange unique de religions, de paysages et de traditions. Ces dernières années, le pays a connu une forte augmentation du nombre de visiteurs. Néanmoins, il peut difficilement être comparé à d'autres pays d'Asie du Sud-Est. Encore moins avec l'État voisin de Thaïlande. Le Myanmar n'est pas une destination classique pour les touristes sac à dos. Ici, les prix sont nettement plus élevés. Évidemment encore abordable pour les touristes occidentaux, mais il n'y a pratiquement pas d'auberges ou d'hébergements privés, mais plutôt des hôtels ou de petites pensions. Ceux qui ne veulent pas voyager en bus local, devront se rabattre sur des bus VIP climatisés, des taxis privés ou des avions privés.
Alors que Bagan semble nostalgique, Yangon montre un tout autre visage. La plus grande ville du Myanmar s’est dévêtue de tout ce qui était ancien. Comme son nom ou son statut de capitale. Car Yangon s’appelait autrefois Rangoon et était la capitale du pays. La capitale actuelle du Myanmar s'appelle Naypyidaw, et comme d'autres capitales nouvellement nommées, elle a été conçue sur papier et est toujours en construction. Arriver à Yangon signifie arriver dans le confort - pourvu que l'on ait déjà un visa en tant que visiteur. Avec un passeport suisse, il suffit de le commander en ligne et de l'imprimer à l’arrivée. On y trouve de nombreux hébergements et des quartiers modernes avec des restaurants et commerces occidentaux et locaux. Une salade aux feuilles de thé et une bière « Myanmar » sont des éléments essentiels de tout repas typique. Je croise cette marque de bière pendant tout le voyage. À chaque maison, dans chaque rue, même étendue au-dessus des rivières, la bannière de la marque est omniprésente.
Le point culminant par excellence à Yangon est la pagode Shwedagon. Énorme et resplendissante d'or, trône sur une colline au milieu de la métropole de six millions d'habitants. À l'entrée, je m'achète un lungi. Un tissu coloré que l'on noue autour des hanches comme une jupe. Il est porté par presque tous les hommes, autant en Inde du Sud qu’au Myanmar. Non seulement le lungi est léger et confortable par une chaleur extrême, mais il me permet également d’accéder correctement habillé à n'importe quel temple, ce qui est impossible en short. Seule la fixation me cause des ennuis. Je demande à un vendeur de rue de m’aider. Il me tourne une fois en rond, enroule le bout de la jupe pliée, y fourre mon t-shirt, me regarde de la tête aux pieds et lève son pouce avec un sourire.
J’engage une guide chevronnée pour m’expliquer les peintures, sculptures et monuments du temple. J’ai oublié son nom. Malheureusement. Les prénoms du Myanmar me donnent du fil é retordre, car ils ne sont attribués à aucun sexe et font souvent référence aux jours de la semaine et aux dieux protecteurs. La guide s'avère extrêmement compétente et aimable. Avec une patience infinie, elle m'explique à nouveau les bases de l'enseignement bouddhiste. J'apprends aussi qu'à cause de mon jour de naissance - c'était un vendredi - je suis une souris selon l'horoscope birman. La guide sourit alors que je pointe, non sans nostalgie, sur les autres fiers signes du zodiaque comme le lion ou l'éléphant. « Les souris sont rapides et peuvent se cacher n'importe où », me réconforte-t-elle. Sur le chemin du retour, je discute avec le chauffeur de taxi. Il se présente comme Zaw, nous nous entendons bien, dès le début. En anglais courant, il me confie que je suis son dernier client du jour et qu’il finit son travail après cette course. Il gare son taxi à Chinatown et m'invite à prendre un verre avec lui.
Nous sillonnons les rues achalandées, où il est difficile de passer en raison de toutes les tables et chaises qui les encombrent. Nous nous assoyons chez un copain de Zaw et il me demande si j’ai envie d’un peu de vin. Le vin s'avère être du « Vine ». Du rhum avec de l'eau. On en boit souvent au Myanmar. Nous l’accompagnons par un excellent poisson. Je discute avec Zaw de sa femme et de son enfant, nous rions et nous nous comprenons à merveille. Pour finir, sa femme l'appelle, il sourit gêné et m'embrasse fraternellement pour me dire adieu.
Après les nombreuses impressions de la ville, je suis attiré par la plage. Malgré la richesse de son paysage côtier, le Myanmar n'est pas connu pour être une destination balnéaire. Les plages de baignade sont pratiquement inexistantes - sauf à Ngapali Beach. Ceux qui ne se rendent pas à Ngapali Beach en avion, doivent peiner pour gagner cette plage. Le trajet en autobus dure de 12 à 15 heures et les routes cahoteuses le transforme en montagnes russes. Mais à mon arrivée, j'ai immédiatement été convaincu que les efforts en valaient la peine.
Sable blanc avec palmiers luxuriants, eau cristalline, calme, propre et presque déserte. Je m'enregistre au Laguna Beach Resort. Le prix d'un bungalow spacieux et lumineux, avec un plafond de trois mètres de haut et d'immenses portes-fenêtres, me semble plus que raisonnable. Ngapali et une véritable perle : baignée par le soleil du matin au soir, avec une plage sympathique et des hôtes agréables. Nombre d'entre eux semblent à la retraite. On rencontre à peine de jeunes « backpackers ». Les restaurants le long de la rue principale proposent des plats délicieux ; la cuisine est un mélange raffiné de plats principaux internationaux et d'entrées, soupes et desserts locaux. Le soir, au coucher du soleil, j’observe toujours le même spectacle : pour que la plage reste resplendissante, les locaux attellent des buffles d'eau à des râteaux en bois. Les animaux costauds marchent alors lentement, d’un bout à l’autre de la plage, de haut en bas jusqu'à ce que le sable soit à nouveau lisse.
L’ambiance au lac Inle est complètement différente. Entouré de montagnes et de forêts, il me rappelle un peu la région autour d’Interlaken. Le lac d'Inle est également un lieu touristique avec des pizzerias, des cartes postales et des cafés servant du latte macchiato ; même les températures y semblent plus suisses que tropicales. La nuit, le mercure chute en dessous de dix degrés. J’enfile ma veste et je m’enregistre dans un hôtel à Nyaungshwe. Les possibilités d’hébergement sont nombreuses, même sans avoir réservé à l'avance.
Le lendemain matin, je descends de bonne heure au canal. Les gens du pays proposent des excursions à bord de longs bateaux en bois. Sous le soleil radieux du matin, nous passons devant des pêcheurs posant pour les touristes jusqu'à ce que nous atteignions les petits villages lacustres. Nous y visitons une manufacture de broderie et une autre de cigares. Bien sûr, le but de cette visite est également d'acheter un souvenir. Même les dames aux anneaux dorés autour du cou, pesant dix kilogrammes, s'installent dans un magasin et se laissent patiemment photographier. Le travail manuel est intéressant à observer. Je me demande néanmoins si ces villages n'existent que grâce à l'attrait touristique.
Après cette longue journée sur le lac d'Inle, je profite d'un repos actif. Je me décide contre un séjour au spa et pour une visite la cave située au-dessus de Nyaungshwe. Le Red Mountain Estate Vineyards & Winery a une ressemblance trompeuse avec une cave en France. Le ciel est bleu vif, l'air frais, le soleil réchauffant. Pour la première fois de mon circuit en Asie du Sud-Est, le climat est européen et automnal et non plus asiatique et chaud. Une vue imprenable sur le lac et le vignoble s'ouvre aux visiteurs. Des vins issus de raisins italiens, français ou israéliens attendent d’être dégustés au restaurant. Avec d'autres visiteurs, je commande une bouteille de Sauvignon blanc, je m'assois sur l'une des chaises en bois blanc et je profite du panorama à couper le souffle sur les montagnes et le lac. Le lendemain, je me dirige vers la deuxième grande ville du Myanmar : Mandalay.
Mandalay est plus chaotique que Yangon car les motos sont autorisées au centre-ville. Cela signifie que la circulation typique des grandes villes, aux bouchons infinis, règne en maître. Je me dirige vers la terrasse sur le toit de l'hôtel et profite de la vue nocturne sur les lumières. Les chants retentissants interrompent ma contemplation. En bas, plusieurs dizaines d'hommes se sont rassemblés autour d'un feu et entonnent des chansons tristes. Je sors et soudainement, je me retrouve au milieu d'une cérémonie religieuse. Je me rends compte que je me trouve dans le quartier musulman de Mandalay. Les hommes chantent avec des voix rauques. Je découvre quelques jeunes qui sont torse nu. Ils se maltraitent avec un fouet de fer. Des rayures rouges vives se forment sur leur dos, le sang coule sur le sol, ils se battent encore et encore. Un spectacle troublant pour moi en tant qu'Occidental. Certains autres touristes sont choqués et ne tolèrent guère ce spectacle, d'autres regardent fascinés. Un employé de l’hôtel m’explique que cette cérémonie a lieu à la mémoire d’un parent de Mahomet.
Malgré la diversité religieuse de la métropole, Mandalay est le centre bouddhiste du Myanmar. Bouddha aurait visité ce lieu il y a plus de deux mille ans. Ma destination est Mandalay Hill, où se trouve un temple avec une statue en or du Bouddha. Deux imposants lions ornent l'entrée de l'escalier qui mène au sommet de la colline. Puis commence l'ascension. Plusieurs centaines de marches m’attendent. Entre deux, on me propose des photos, des souvenirs et des boissons. En sueur et à bout de souffle, j'arrive au sommet et je suis récompensé par une vue impressionnante. La ville est rougeoyante dans le flou du soleil couchant. Mais la vue n'est pas le fait marquant de cette colline, ce sont les moines dans leurs robes orange. Le soir, ils se rassemblent dans le temple pour discuter avec les touristes. Non pas pour parler du bouddhisme, mais pour améliorer leur anglais. Les moines sont gentils, drôles et avertis. Ils veulent savoir ce que je fais, si j'aime le Myanmar, où est ma femme. Des questions sur des questions qui sont posées avec une telle honnêteté charmante et un tel intérêt que je réponds à tout. Je m'implique dans plusieurs conversations et j'oublie presque de photographier la sphère orange-rouge à l'horizon.
Un jeune moine aux lunettes à la John Lennon sourit et me serre la main énergiquement pour me dire au revoir. Par contre, son compagnon à la robe jaune, lui, retire sa main alors que je lui tends la mienne et regarde, l'air gêné, au sol. Je suis étonné. Son collègue plus âgé m'explique que cet élève est dans une phase d'humilité et que par conséquent il ne doit toucher personne. Finalement, le jeune élève s’incline légèrement pour prendre congé adieux. Ce geste me met mal à l'aise. Ce serait à moi de m’incliner le dernier jour. Devant le Myanmar, ce merveilleux pays aux paysages variés, aux gens attentionnés, à la nourriture excellente et aux pagodes impressionnantes. Je n'ai pas réussi à tout voir de ce pays. Mais je me suis retrouvé dans des villes, à la plage, à la montagne, sur un lac. Je dois prendre congé du Myanmar. Mais je prends mon lungi, devenu poussiéreux entre-temps, avec moi comme souvenir.